Chroniques

LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
C'est la vie! - Les nouveaux riches Comment dépenser son argent lorsqu'on en a trop ? (publiée le 7 juin 2017)
Lorsque j'étais petite, on appelait un millionnaire « Monsieur » et une millionnaire « Madame feu monsieur ». De nos jours, il en faut mille fois plus pour être quelqu'un, et les femmes n'ont plus besoin d'empoisonner l'existence de leur mari riche pour hériter et s'envoyer en l'air avec Bret, leur garde du corps. Être riche, c'est fuir les tendances et la mode pour s'en remettre à ses rêves, taillés dans le marbre de sa personnalité ou cousus main, à ras le corps. Fabuleux projet pour qui possède, en plus des neuf chiffres, deux sous d'imagination. Tiens, moi, si j'étais riche, j'allongerais deux millions de dollars pour donner une réception en Sardaigne, comme cet Américain qui attend son procès pour fraude fiscale. Sur l'invitation, la photo d'une réplique du David de Michel-Ange, sculptée dans la glace avec du caviar à ses pieds, pisserait de la vodka par le pénis. Comme drink de bienvenue, on ne fait pas plus tonique.

Être riche n'est plus à la portée du premier péquin de casino ni de son vide-poches. En 2004, il y a 587 milliardaires à travers le monde, selon le magazine Forbes, dont la moitié sont des Américains. La moyenne d'âge de ces personnes d'influence est de 64 ans et la plupart sont des entrepreneurs, des self-made men (and women !) issus du milieu de la technologie ou des communications. Bill Gates (Microsoft), Ted Turner (fondateur de CNN) et André Chagnon (ex-président de Vidéotron) ont tous leurs milliards en commun mais ils peuvent également ajouter le mot « philanthrope » sur leurs cartes d'affaires.

C'est précisément sur cet aspect de la richesse que s'est penchée l'auteur torontoise Iris Nowell dans son livre Generation Deluxe (Dundurn), un ouvrage sociologique qui pique la curiosité jusqu'à la dernière page. Comment les très riches (100 millions de dollars et plus) dépensent leur fric en épuisant les ressources naturelles et comment apaisent-ils leurs remords de conscience ou leur désir de servir la communauté avec leurs millions-milliards.

Fascinant ou indécent, le phénomène intéresse et fait toujours couler beaucoup d'encre dans les magazines consacrés à la vie du jet-set de ce monde. Personne ne résiste à l'envie de s'y frotter, pas même le premier ministre britannique Tony Blair, à qui on a reproché ses vacances princières (l'équivalent de son salaire annuel) cet été, notamment les 18 jours passés dans la villa prêtée par le chanteur Cliff Richard à la Barbade. Un bateau était mis à la disposition de la famille Blair par un industriel anglais. Une contribution aux oeuvres caritatives préférées de leurs hôtes a été versée par les Blair en guise de dédommagement et pour calmer l'indignation des électeurs travaillistes. Charming !

Sky is not the limit

Les riches ont les moyens de fixer les prix et les quantités de leurs caprices, même s'il s'agit d'étoiles. Generation Deluxe ne mentionne pas par exemple que le cofondateur de Microsoft et philanthrope Paul G. Allen a été à l'origine du premier voyage spatial privé cette année en envoyant le SpaceShipOne en orbite. L'espace est désormais libre pour être commercialisé par l'entreprise privée. Un grand pas pour l'humanité ! Sur le plancher des vaches, toutefois, les riches peuvent attendre deux ans pour obtenir leur montre suisse Patek Philippe en édition limitée, paient 25 000 $ pour un gâteau de mariage (quand la noce coûte un million... ), déboursent 33 000 $ pour dormir à l'hôtel President Wilson de Genève, s'offrent des résidences de 25 ou 50 millions de dollars, sans compter un townhouse à Londres, une paillote secrète dans les Caraïbes, un condo à New York, cinq ou six véhicules, un jet privé, un yacht et une poussette à 3000 balles comme celle dans laquelle Brooke Shields promène sa fille Rowan.

Il faut beaucoup, beaucoup de flair de nos jours pour vivre sa richesse, mais heureusement, les riches peuvent aussi se payer des assistants pour les aider à dépenser leurs surplus. Arnold Schwarzenegger, ou « gouverneur Arnold », verse 100 000 $ par an à l'employé chargé de laver ses nombreuses bagnoles, dont six Hummer qui en ont fait davantage pour la paranoïa que les alertes oranges de l'administration Bush.

Autres personnes indispensables au service des gens riches : des coachs alimentaires, des coachs de sobriété (à 3000 $ par jour) imposés à Hollywood par les compagnies d'assurances des productions cinématographiques, des planificateurs de divorces, des planificateurs de prenuptial agreements qui comportent une clause fling fee (ou adultère) — si Michael Douglas trompe Catherine Zeta-Jones, ça lui coûtera cinq millions ! —, des gérants de crises, des coachs de médias, des consultants de prison (Martha Stewart peut-elle avoir accès à la Bourse sur Internet durant sa peine ?), des conseillers en arts (Le Cri de Munch par Purolator, c'est combien ?). Et il faut engager un directeur du personnel et des ressources humaines pour gérer tout ce beau monde.

Donner, c'est s'alléger

Ils ne sont pas tous disciples du dalaï-lama mais beaucoup d'entre eux profitent des faveurs du destin pour réaliser des rêves hors du commun : sauver la Patagonie ou l'écosystème d'un coin perdu des États-Unis. Ted Turner possède à lui seul l'équivalent de l'État du Delaware avec deux millions d'acres de terrain, dont quelques-unes du côté de la Terre de Feu. Ce collectionneur de propriétés prétend vouloir sauver l'environnement en le protégeant des spéculateurs. Le réalisateur Robert Redford fait la même chose avec ses 25 000 acres à Sundance, en Utah, où il s'est gagné le surnom d'« éminence verte ». L'actrice Bette Midler a mis sur pied à New York un projet vert qui a amassé 18 millions de dollars en septembre 2003, après neuf années d'existence. Ce projet vise à nettoyer les parcs, à sauver les jardins communautaires et à sensibiliser les enfants aux causes environnementales. Là où les gouvernements capitulent ou ferment les yeux, les riches arrivent à la rescousse et revêtent leur uniforme de Superman.

Ne reste plus qu'à espérer pour le Québec que Richard Desjardins gagne à la 6/49 pour que nos erreurs boréales soient réparées.

Écrivez à cherejoblo@ledevoir.com.

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Reçu : un roman anglais portant sur l'argent, Millions, de Frank Cottrel Boyce (Gallimard Jeunesse). Deux jeunes frères tombent sur un sac rempli d'argent. Beaucoup d'argent : 229 370 £. Le roman nous décrit toutes les emmerdes dans lesquelles l'argent comptant peut plonger deux enfants. Ceux-ci se découvrent même des fantasmes philanthropiques. Le roman, piquant et amusant, traite d'un sujet qu'on aborde rarement dans les romans jeunesse.

Remarqué : la parution de Confessions d'une radine de Catherine Cusset en livre de poche (Folio), un livre qui m'avait bien amusée. Les riches sont-ils radins ? En tout cas, la radinerie est à la portée de toutes les bourses, et Catherine Cusset nous fait découvrir ce plaisir si mal compris. Une question d'instinct chez les uns, de principe chez les autres, les radins sont affligés de constipation monétaire chronique.

Surfé : sur le site Surgeon and Safari (www.surgeon-and-safari.co.za/). La beauté et la richesse ne vont pas toujours de pair, mais on peut certainement améliorer ce que la nature nous a donné sans compter. Le dernier concept après les partys Botox : le safari-chirurgie en Afrique du Sud. On profite de l'éloignement pour se faire remonter le visage, les seins, gommer les rides ou le bide et s'offrir du repos en prime, ainsi qu'un safari pour rapporter des photos d'animaux exotiques. Ces voyages surnommés « La Belle et la Bête » ont la faveur de gens riches ou radins car le coût des chirurgies serait beaucoup moins élevé qu'aux États-Unis. Appelons ça du safari extrême...

Feuilleté : Voitures, tiré de la nouvelle collection de livres de photos du National Geographic. On y retraverse le XXe siècle à bord d'humbles tacots et de « Rolls Rose » (notre photo) du temps où trois heures de parking coûtaient 5 ¢. La photographie, le National Geographic et l'automobile sont presque nés en même temps. C'est un plaisir de les retrouver sous une même jaquette.

Assisté : à la première de la pièce Les hommes aiment-ils le sexe, vraiment, autant qu'ils le disent ? à l'Espace Go. Le titre est payant mais le propos tombe un peu à plat, du moins dans deux des quatre tableaux. On tourne beaucoup autour du pot mais on en arrive toujours à la même conclusion : ce n'est pas l'argent qui mène le monde. Jusqu'au 2 octobre. (514) 845-4890.

Noté : que sa sainteté Raël donnera, ce dimanche à 10h à l'auditorium du cégep de Maisonneuve (2700, rue Bourbonnière), une conférence sur la nudité et la spiritualité à l'occasion de sa sortie dans le dernier Playboy (octobre 2004), en compagnie de trois de ses « anges », nues pour l'occasion et très bien foutues merci pour des extraterrestres. Les anges (habillés) seront à la conférence pour signer vos copies de Playboy. Si ce n'est pas l'argent qui mène le monde, alors c'est Raël. Pourquoi être seulement riche quand on peut aussi être un gourou ?

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Si j'avais 25 millions

Une bonne amie à moi voulait quitter Bruxelles quelques jours pour aller voir des amis et sa famille à Paris. Elle était à une période difficile de sa vie : séparation douloureuse qui traînait en longueur, emploi précaire et peu intéressant, manque d'argent, amitiés en lambeaux. Esseulée, elle avait donc réuni ses dernières économies pour se payer le train à grande vitesse et s'extraire quelque temps de son naufrage. La journée avait été moche, tout du long, elle arriva haletante dans la longue file d'attente et se laissa doubler par un vieux bonhomme suant avec une valise rouge.

Arrivée au guichet, une jeune femme lui fit un large sourire, le premier depuis longtemps, mon amie le lui rendit et marmonna la destination et le prix supposé (110 euros, quelque chose comme ça). « Mais pas du tout, mademoiselle, c'est beaucoup moins que ça, je vous fais le billet à 50. » Elle resta stupéfaite un moment, puis bredouilla : « Je pensais que c'était... Je... À moi, on ne fait pas de cadeaux... Pourquoi ?... C'est un nouveau tarif ? » La guichetière lui indiqua d'un geste le long serpent de gens qui attendaient dans son dos. « Mademoiselle, c'est l'heure de pointe, je ne vous ferai pas de longs discours, je vous offre un tarif « Friend". » Mon amie rougit un peu, tendit l'argent et osa la regarder dans les yeux. « Friend, c'est pour « amie" ? » Elle lui glissa son billet et un « Oui, c'est pour « amie", dépêchez-vous, vous allez manquer votre train, quai 8... ».

Elle passa ensuite les deux heures du voyage collée aux paysages qui défilaient comme des comètes derrière la vitre, s'interrogeant sur le sens de ce geste gratuit, survenu de manière inopinée. Un petit bonheur à la Capra, sorti de nulle part, qui vous donnait le frisson et envie de dire : « It's a wonderful life ! », même si c'était pour 30 secondes.

Eh bien, si j'avais 25 millions, je financerais un organisme international de micro-amitié aléatoire sans but lucratif dans le but de promouvoir ces petits moments entre inconnus. Cela ne résoudrait sans doute pas grand-chose aux grands problèmes de la planète, ce serait même absolument dérisoire, mais ce serait beau, tout de même, comme les étoiles filantes dans un ciel d'août.

Jérôme Minière

Félix « auteur-compositeur » de l'année 2003. En spectacle au Cabaret les 29 et 30 octobre à Montréal et le 3 décembre au Grand Théâtre de Québec.



Par : Josée Blanchette
Sur : ledevoir.com