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LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
Que peut-on vendre aux « ultra-riches » ? (publiée le 3 avril 2017)
Quelle tactique adopter pour toucher les consommateurs les plus fortunés de la planète ?


On a coutume de dire que les riches deviennent de plus en plus riches. Cela n’a jamais semblé aussi vrai que dans le contexte socio-économique actuel. A l’heure où les jets de location sont adoptés par la jeunesse dorée et où les sacs à main en cuirs exotiques valant des dizaines (voire parfois des centaines) de milliers de dollars sont devenus des symboles de réussite au point que les grands groupes de luxe rachètent des fermes de crocodiles pour assurer leurs approvisionnements, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes.

Selon un récent rapport publié par Wealth-X, une société de conseil spécialisée dans les gros patrimoines, 211 275 personnes dans le monde ont une fortune estimée à au moins 30 millions de dollars (soit environ 26,7 millions d’euros) et ont été responsables de 19 % de la totalité des achats de produits de luxe sur le globe, pour un montant de 234 milliards de dollars (soit 204,8 milliards d’euros). La Chine à elle seule représente 30 % du marché mondial du luxe.

Club des « ultra high net worth individuals »
D’après le Crédit Suisse, le nombre de personnes en haut de la pyramide financière est exponentiel. Le groupe de services financiers estime qu’aujourd’hui 128 000 individus font partie du club des « ultra high net worth individuals » (Uhnwi), c’est-à-dire les personnes dotées d’une fortune nette disponible supérieure à 50 millions de dollars, alors qu’ils n’étaient que 41 000 ultra-riches en 2000. Parmi eux, 45 000 personnes ont une fortune supérieure à 100 millions de dollars, contre 14 000 en 2000, tandis que 4 300 individus possèdent des biens d’une valeur supérieure à 500 millions de dollars, contre 1 200 il y a quinze ans.
Bien que le phénomène des « ultra-riches » ne soit pas nouveau, aujourd’hui les grandes fortunes ne sont plus seulement l’apanage des hommes d’affaires américains ou des nantis issus du continent européen. Même si les Etats-Unis regroupent le nombre le plus important d’ultra-riches avec 63 000 individus (soit 49 % de la population mondiale la plus fortunée), 26 000 personnes (20 %) sont domiciliées dans la région Asie-Pacifique, notamment en Chine et en Inde, et cette tendance géographique devrait s’accentuer dans les années à venir.
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Face à ce phénomène, comment l’industrie de la mode et le marché du luxe répondent-ils aux besoins de cette clientèle ? « Tout est une question de confiance et de service personnalisé, » explique Tina Tan Leo, la propriétaire et fondatrice de Privato Asia, un service de shopping privé exclusif sur invitation, basé à Shanghaï. En ce qui concerne le niveau de dépenses de ses clients, « cela peut aller de 2 000 à 2 millions de dollars, ou plus. Ça dépend. Si quelqu’un veut quelque chose d’extraordinaire, nous sommes capables de le lui trouver. »
En plus d’offrir un service, il s’agit aussi de fournir des conseils et de former cette nouvelle clientèle. Environ 65 % des individus dont la fortune dépasse les 30 millions de dollars sont devenus millionnaires par leurs propres moyens, selon la société Wealth-X, et la plupart d’entre eux connaissent encore mal le monde du luxe. « J’éduque mes clients car ils veulent se familiariser avec cet univers. Ils veulent comprendre et apprécier les belles choses et profiter d’un mode de vie glamour, » poursuit Tan Leo.
Louis Vuitton, Céline, Chanel, Fendi et Dior
Le grand magasin londonien Harrods, connu depuis longtemps pour sa clientèle huppée, a ouvert cette semaine son nouveau rayon « super-marques ». Cet espace de 13 000 m2, « dédié aux collections prestige des plus grandes maisons de couture au monde », accueille dans un décor tout en marbre dix-huit enseignes, notamment Louis Vuitton, Loro Piana, Céline, Chanel, Fendi et Dior.
Beaucoup de marques de luxe créent désormais spécialement pour leur clientèle la plus fortunée des produits en édition limitée fabriqués dans les matériaux les plus chers et les plus exotiques disponibles sur le marché. Hermès, et son célèbre sac Birkin connu autant pour sa liste d’attente de cinq ans que pour son style et sa qualité, a toujours eu la réputation de réaliser des commandes spéciales pour ses meilleurs clients : un sac à main Himalaya en peau de Crocodile du Nil, or blanc et orné de diamants coûte 110 000 euros. Une version customisée, avec davantage de diamants et fabriquée spécialement pour un client, a été vendue pour environ 275 000 euros.
« Il y a une forte demande et une grosse concurrence chez les marques pour se procurer certaines peaux. Les maisons traditionnelles comme Hermès, LVMH et Gucci (Kering) ont toutes acheté la plupart des tanneries qui fournissent les peaux et les cuirs pour des marques de luxe comme la nôtre, et elles peuvent ainsi contrôler l’approvisionnement et les coûts. La demande pour les matériaux d’excellente qualité et l’approvisionnement limité a sensiblement augmenté les coûts et participé à la croissance du secteur, » souligne Tyler Ellis, la fille du créateur américain Perry Ellis qui est à la tête de la marque Tyler Alexandra, spécialisée dans les cuirs exotiques.
« Les gens qui ont les moyens d’acheter absolument tout ce qu’ils désirent veulent être les premiers à découvrir quelque chose d’unique, et ce n’est pas nécessairement quelque chose qui coûte des millions. Le luxe, ce n’est pas qu’une question d’argent. De nos jours, beaucoup de gens peuvent s’offrir des produits de luxe », ajoute Tan Leo.
Des défilés croisière et des collections pré-automne
« On le voit avec la prolifération des boutiques. Je suis sûr qu’il y a vingt ans, de nombreuses enseignes de luxe avaient beaucoup moins de magasins dans le monde qu’à l’heure actuelle. Et le volume de produits fabriqués est beaucoup plus important aujourd’hui », affirme Mesh Chhibber, cofondateur et propriétaire de Peau de Chagrin, une marque de maroquinerie spécialisée dans la vente de créations de haute qualité fabriquées à la main en édition limitée. « Il existe une frange de la population qui ne s’intéresse pas au luxe en tant que statut social, mais qui recherche plutôt un travail d’artisanat authentique », déclare Mesh Chhibber, dont le premier produit était une édition de 100 sacs à main en cuir, réalisés sur commande pour un prix de 3 500 euros et désormais épuisée.
Mais pour une partie de ces millionnaires, il s’agit moins d’accumuler des objets que de vivre des expériences enrichissantes. Selon Lisa Gregg, vice-présidente des produits de consommation internationaux chez American Express, « les plus fortunés sont des gens extrêmement occupés, donc ils comptent sur nous pour les aider à ce que leur vie soit encore plus remplie. La mode est une vraie passion pour beaucoup des titulaires de la carte, nous faisons donc en sorte de leur trouver une place au premier rang des défilés pendant la fashion week londonienne et de leur permettre d’aller au backstage serrer la main au styliste. Ou encore récemment, nous avons invité des clients premium au gala d’ouverture de l’exposition “Savage Beauty”consacrée à Alexander McQueen au Victoria & Albert Museum de Londres »
En effet, aujourd’hui certaines des plus grandes maisons de couture comme Chanel, Dior, Louis Vuitton and Burberry organisent des défilés croisière et des collections pré-automne de plus en plus élaborés dans le but de proposer aux clients les plus aisés des expériences uniques et de s’attirer une couverture médiatique. Le voyage et le logement sont inclus. Mais c’est le fait d’accéder au cercle très privilégié du monde de la mode qui intéresse vraiment ceux qui possèdent déjà tout par ailleurs. « A Palm Springs, nos clients pourront rencontrer Nicolas [Ghesquière], il y aura ensuite un dîner après le défilé et tous nos clients pourront discuter avec lui. C’est ce que souhaitent nos clients », assure Michael Burke, directeur général de Louis Vuitton.
Un exemple qui démontre l’importance du nombre réduit mais croissant de ces nantis pour lesquels l’industrie de la mode se plie en quatre : même si leur seul désir est simplement un dîner en compagnie de Nicolas Ghesquière.


Par: Robin Mellery-Pratt
Sur: www.lemonde.fr